Il existe une confusion très répandue entre le régime fluvial et le régime laminaire. Ces deux notions font pourtant référence à des phénomènes différents. Faisons le point.
La turbulence
On attribue à Albert Einstein la citation suivante :
Si je rencontre Dieu, je lui poserais deux questions. Pourquoi la relativité ? Et pourquoi la turbulence ? Je crois sincèrement qu’il saura répondre à la première.
Les lois de la nature nous offrent en effet un phénomène assez singulier qui fait qu’un écoulement ordonné, constitué par des filets de fluide qui coulent gentiment et sans faire d’histoires les uns sur les autres, devient chaotique dès lors qu’on le perturbe un peu trop.
Une aspérité un peu trop grande sur la paroi, une fluctuation un peu trop rapide du niveau d’eau, une vitesse d’écoulement un peu trop grande… tout est prétexte pour que le chaos s’installe et que vitesse et pression s’agitent dans tous les sens.
Alors bien-sûr parfois le fluide arrive à dompter les ardeurs de la turbulence. Sa viscosité lui permet d’amortir puis d’annihiler ces soubresauts. Mais il est vite dépassé. C’est en tout cas ce qui se passe avec l’eau, dont la viscosité, c’est-à-dire la capacité à s’opposer à une modification de l’écoulement, est très faible. On pourrait dire que l’eau manque d’autorité vis-à-vis de la turbulence.
C’est l’ami Osborne Reynolds qui, alors qu’il caractérisait les pertes de pression dans une conduite, s’est le premier rendu compte qu’en-dessous d’une certaine vitesse critique, la perte de pression variait plutôt linéairement avec la vitesse de l’eau. En revanche, une fois cette vitesse critique dépassée, la perte de pression augmentait plus rapidement, globalement avec le carré de la vitesse.
En injectant du colorant et y regardant de plus près, il a découvert ce qu’il appelé le régime direct (on dit aujourd’hui « laminaire ») et le régime sinueux (on dit aujourd’hui « turbulent »).
Voici par exemple ce qu’on peut obtenir en mesurant la vitesse dans un écoulement turbulent avec une sonde de vitesse mesurant à une fréquence de 50 Hz (50 mesures par seconde).
En moyenne, la vitesse vaut 0.65 m/s. Mais la vitesse instantanée s’agite en permanence autour de cette vitesse moyenne. Tantôt 0.61 m/s, tantôt 0.69 m/s, 0.58 m/s, 0.64 m/s…
La même sonde dans un écoulement laminaire donnerait plutôt ceci. Encéphalogramme plat.
Oui, et alors ?
Il est vrai qu’on pourrait s’en moquer. Mais il se trouve qu’un écoulement laminaire et un écoulement turbulent ne se comportent pas de la même façon sur de nombreux aspects, notamment sur des aspects qui impactent nombre de calculs d’ingénierie.
Un écoulement turbulent fait en effet perdre plus de charge à l’écoulement, il disperse davantage les colorants, il entraîne plus facilement de l’air, etc. Tout ça, d’autant plus qu’il est turbulent.
Pour savoir si un écoulement est laminaire ou turbulent, et pour évaluer son degré de turbulence s’il est turbulent, on calcule son nombre de Reynolds.
L’écoulement est turbulent si cette grandeur adimensionnelle (pas d’unité) est supérieure à 500.
Les ondes de surface
Parlons à présent des ondes de surface.
Si on perturbe la surface d’un écoulement (jetez un caillou dans l’eau pour voir), des ondes de surface se créent. Ces ondes se déplacent à une vitesse qui varie avec la racine carrée de la hauteur d’eau.
Si cette vitesse est supérieure à la vitesse de l’écoulement, des ondes se déplacent aussi bien vers l’amont que vers l’aval. On parle d’écoulement fluvial.
Si la vitesse des ondes est inférieure à la vitesse de l’écoulement, les ondes ne se déplacent que vers l’aval. Leur vitesse est trop faible pour qu’elles remontent le courant. On parle d’écoulement torrentiel.
Le nombre de Froude (en l’honneur de William Froude qui a révolutionné l’industrie navale) permet de déterminer dans quel cas de figure se trouve un écoulement.
Si ce nombre est inférieur à 1, l’écoulement est fluvial. S’il est supérieur à 1, il est torrentiel. Et l’écoulement est d’autant plus torrentiel que le nombre de Froude est grand. Lorsque le nombre de Froude dépasse la valeur d’environ 3, des instabilités importantes prennent place en surface.
Synthèse
Les régimes laminaire et turbulent sont relatifs à la turbulence et à l’agitation interne d’un écoulement.
Les régimes fluvial et torrentiel sont relatifs aux ondes de surface et aux instabilités de surface.
Ce sont donc deux choses qui n’ont pas grand-chose à voir.
La confusion vient peut-être du fait qu’en présence d’un écoulement à surface libre, on regarde surtout sa surface.
Un régime fluvial présentant peu de perturbations au niveau de sa surface, on en conclut, à tort, qu’il est laminaire. Pourtant, il suffit de mesurer la vitesse en un point de cet écoulement pour se rendre compte qu’elle ressemble à la première figure fournie plus haut. Ou d’y injecter du colorant pour se rendre compte qu’il y est très vite dispersé.
Le tableau suivant fournit quelques ordres de grandeur pour des écoulements typiques. On y trouve quatre possibilités :
- Des écoulements fluviaux et turbulents (comme dans un fleuve),
- Des écoulements torrentiels et turbulents (comme dans un torrent de montagne),
- Des écoulements fluviaux et laminaires (comme dans un maquette hydraulique de taille très réduite, ou encore une lave torrentielle où la viscosité est très grande),
- Des écoulements torrentiels et laminaires (comme l’écoulement de l’eau sur une chaussée routière pentue).
On se rend cependant compte avec ces exemples qu’il faut considérer des situations un peu extrêmes (très faible hauteur d’eau, très forte viscosité, ou éventuellement très faible vitesse) pour rencontrer des écoulements à surface libre laminaires.
PS : cela devient « drôle » avec le phénomène d’entraînement d’air dans un écoulement d’eau puisque c’est le phénomène de turbulence en surface de l’écoulement qui provoque l’éjection de gouttes d’eau dans l’air et l’entraînement de bulles d’air dans l’eau. Mais ça, c’est une autre histoire. Je ne voudrais pas vous mélanger.
Un cours deau de 10 m de largeur voit sa vitesse d’écoulement augmenter si la largeur du cours deau rétrécit.
Un autre phénomène que les kayakistes utilisent souvent. Suivant le passage que vient de passer l’eau celle ci remonte sur les bords à l’envers de l’écoulement du cours d’eau. Si un vent assez fort est contraire à l’écoulement du cours d’eau il va créer une forme d’aspiration de l’eau qui accélére l’écoulement qui frotte moins sur le fond.