Le diagramme de Shields

Le diagramme de Shields est l’outil incontournable des hydrauliciens qui œuvrent dans le domaine du transport solide.

  • Besoin de dimensionner une protection de berge en enrochements ? On utilise le diagramme de Shields.
  • Besoin de s’assurer qu’une zone restera libre de tout dépôt ? On utilise le diagramme de Shields.
  • Besoin de dimensionner un modèle réduit à fond mobile ? On utilise le diagramme de Shields.

Au-delà de son intérêt opérationnel manifeste, cet outil est également intéressant historiquement puisque son auteur, Albert Shields, a marqué l’histoire de l’hydraulique alors qu’il n’a été actif dans ce domaine que quelques années. Après une thèse de doctorat « difficile » à Berlin dans les années 1930 (je vous laisse imaginer pourquoi), cet Américain retourne en effet aux USA où il fera carrière dans le domaine de packaging pour finalement se rendre compte plusieurs années après que son travail de thèse, mis en évidence notamment par Hunter Rouse au sein de la communauté des hydrauliciens, est un outil majeur de l’hydraulique. Comme John Nash avec « Un homme d’exception », Albert Shields mériterait selon moi un film.

La « courbe » de Shields

Mais utilise-t-on vraiment bien ce diagramme ?

Dans les livres et les cours de transport sédimentaire, on le trouve généralement sous une forme qui ressemble à la figure suivante.

Et on explique les éléments suivants.

  • La mise en mouvement de sédiments est conditionnée par deux grandeurs adimensionnelles que sont la contrainte de cisaillement adimensionnelle, appelée contrainte de Shields, et qui correspond à la contrainte de cisaillement provoquée par l’écoulement et adimensionnalisée par les caractéristiques des particules ; et le nombre de Reynolds particulaire, calculée avec la taille des particules et la vitesse de frottement (directement liée à la contrainte de cisaillement).
  • Pour les valeurs importantes du nombre de Reynolds particulaire (partie droite de la courbe), le phénomène de mise en mouvement est uniquement décrit par la contrainte de Shields. Au-delà d’une valeur de l’ordre de 0.05, les sédiments sont mis en mouvement. En-dessous, ils demeurent au repos.
  • Pour des nombres de Reynolds particulaires plus faibles (partie gauche de la courbe), la contrainte seuil de mise en mouvement dépend du Reynolds. Elle est plus importante pour les faibles Reynolds (écoulement laminaire autour des sédiments) et atteint un minimum à environ 0.03 pour un Reynolds de l’ordre de 10.

On parle souvent de la « courbe » de Shields.

Précisons que les valeurs évoquées sont parfois un peu différentes de celle mentionnées ci-dessus.

Si tout ceci est parfaitement vrai, c’est largement incomplet.

La « bande » de Shields

Pour le comprendre, on peut regarder la figure suivante. C’est la même que précédemment mais les points expérimentaux correspondant aux données utilisées par Shields ainsi que par les personnes qui ont poursuivi ses recherches ont été ajoutés. Ces points ont été récupérés de l’article de synthèse de Montgomery et Buffington.

Source des données : Buffington J & Montgomery D (1997). A systematic analysis of eight decades of incipient motion studies, with special reference to gravel-bedded rivers. Water Resources Research, 33(8), p.1993-2029.

La vue de ce graphique devrait tout de suite nous faire arrêter de parler de la « courbe » de Shields. Au mieux peut-on parler de la « bande » de Shields. Et c’est une sacrée bande ! Une grosse « épaisseur du trait ». La zone en bleu transparent est mon interprétation personnelle.

Si on considère un Reynolds égal à 10, la contrainte de Shields critique pour la mise en mouvement est égale à environ 0.03 si on considère la « courbe » de Shields (pointillés rouges). Si on prend en compte toute la dispersion, on devrait plutôt affirmer que la valeur seuil est comprise entre 0.02 et 0.07. Pour les grandes valeurs de Reynolds, la courbe nous dit 0.05 alors que la dispersion des points nous incite à davantage de prudence en retenant plutôt la fourchette 0.01 (quelques points) à 0.10, soit une fourchette dont l’étendue correspond à un ordre de grandeur (c’est-à-dire un facteur 10 entre la borne inférieure et la borne supérieure).

Lorsque j’explique cela en formation, la première réaction des participants est souvent un grand désarroi. Mais que vais-je pouvoir faire avec autant d’incertitude ?

Que faire en pratique ?

Ma réponse est qu’il est mieux de disposer d’une méthode imprécise mais dont on connaît l’incertitude qu’une méthode qu’on pense aveuglément précise.

Cela permet de rationnaliser le facteur de sécurité à utiliser.

Voici quelques exemples :

  • Si j’utilise le diagramme de Shields pour m’assurer qu’il n’y aura pas d’érosion, il convient d’utiliser l’enveloppe basse du nuage du points.
  • Si je l’utilise pour m’assurer qu’une zone reste libre de tout sédiment, il convient à l’inverse d’utiliser l’enveloppe haute.
  • Enfin, si je souhaite évaluer s’il y a transport ou pas (et éventuellement ensuite utiliser la valeur de contrainte pour calculer une capacité de transport), il est plus pertinent d’utiliser la courbe moyenne en pointillés rouges.

Sans incertitude, une valeur n’est rien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut