Si le calcul d’incertitudes commence à entrer dans les mœurs, beaucoup de flou (d’incertitude en quelque sorte) demeure dans sa mise en œuvre sur le terrain. Une difficulté importante est notamment rencontrée lorsqu’on cherche à évaluer l’incertitude sur un cumul, comme par exemple le volume transitant pendant une certaine durée au niveau d’un point de mesure du débit.
Exemple : l’exploitant A gère un réseau d’eau à surface libre (assainissement, irrigation, etc.) et envoie une partie du volume d’eau vers l’exploitant B. Une mesure du débit est là pour évaluer le volume échangé, volume découlant sur une facturation. Quelle est l’incertitude sur le volume facturé ?
Introduction sur les incertitudes
Supposons qu’on mesure un débit à 261 m3/h et que la valeur vraie soit égale à 278 m3/h. On commet donc une erreur de mesure égale à la différence entre la valeur mesurée et la valeur vraie, soit 17 m3/h (en sous-estimation). Mais en réalité, il est impossible d’évaluer l’erreur car la valeur vraie est en général inaccessible (sauf à disposer d’une mesure ultraprécise qu’on pourra qualifier d’étalon).
L’incertitude est une estimation de l’erreur. Elle peut être estimée sur base de données de mesures antérieures, de l’expérience, des spécifications du fabricant de l’appareil de mesure ou encore d’un calcul reposant sur tout ou partie de ces éléments. Sur la figure suivante, l’incertitude est représentée par le rectangle bleu et correspond à +/- 30 m3/h autour de la valeur mesurée.
L’incertitude d’une grandeur peut être évaluée de plusieurs façons :
- En multipliant les mesures : la dispersion fournit alors une estimation de l’erreur due à la mesure. C’est ce qu’on appelle le type A.
- En modélisant les sources d’incertitude : l’incertitude est évaluée en procédant à une identification et à une quantification des sources d’erreur. C’est ce qu’on appelle le type B.
Incertitude sur le débit “instantané”
La figure suivante illustre le cas d’une mesure de débit réalisée au moyen d’un seuil jaugeur, d’une mesure de la hauteur de lame déversante et d’une relation hauteur – débit. Le tableau fournit des valeurs à titre d’exemple.
Le coefficient de débit provient par exemple d’une norme (par exemple la norme ISO 1438), d’une campagne de mesure ou encore d’une étude de modélisation du site par mécanique des fluides numérique. La largeur de déversement est la distance sur laquelle se fait le déversement. Elle est mesurée par exemple au distancemètre laser. La hauteur de lame déversante correspond quant à elle à la différence entre le « zéro » de la sonde (mesurée à l’étalonnage du capteur sur site) et la distance mesurée.
Avec les valeurs proposées ici, la hauteur de lame déversante mesurée à 0.30 m correspond à un débit de 1.29 m3/s.
L’évaluation de l’incertitude sur le débit peut passer par une approche par les dérivées partielles ou par une simulation de Monte-Carlo. J’aime beaucoup la seconde option car elle permet mieux selon moi d’illustrer la notion d’erreur systématique et d’erreur aléatoire.
Lorsque le système de mesure fournit une valeur de débit, cette dernière est empreinte d’une erreur qui provient de l’erreur sur le coefficient de débit, de l’erreur sur la largeur de déversement et de l’erreur sur la hauteur de lame déversante, qui provient elle-même de l’erreur sur le zéro et de l’erreur sur la distance mesurée. On peut écrire que le débit Q fourni par le système de mesure est rendu incertain pour ces différentes erreurs : dCD, dL, dH0 et dH.
L’enjeu est alors d’évaluer les erreurs sur chacune des grandeurs dont dépend le débit.
Dans le cas d’un seuil respectant les règles de l’art, on peut à titre d’exemple considérer une incertitude aléatoire de 2% sur ce coefficient. « Aléatoire » signifie que l’erreur est tantôt dans un sens (en sous-estimation) et tantôt dans l’autre (en surestimation) au fil des mesurages. On suppose en outre que la distribution de l’erreur est uniforme dans cet intervalle (on pourrait aussi supposer qu’elle est gaussienne, ou autre).
Concernant la largeur de déversement, on peut à titre d’exemple estimer son incertitude à 10 mm. Il s’agit ici d’une erreur non pas aléatoire mais systématique. La mesure de la largeur est en effet réalisée au moment de l’étalonnage de la station de mesure ; l’erreur effectuée à ce moment-là perdure tant qu’une nouvelle mesure de la largeur n’est pas refaite (auquel cas il y a toujours une erreur mais différente).
Pour le zéro, on estime son incertitude à 10 mm (pas si facile de faire le zéro d’une sonde). Il s’agit aussi d’une erreur systématique, qui sera conservée jusqu’au prochain étalonnage.
Pour la mesure de la distance H, l’incertitude est supposée aléatoire et correspondre à titre d’exemple à 0.1% de la plage de mesure (capteur de classe 1), soit 1 mm pour une plage de 1 m.
Avec un tableur, on peut facilement générer un grand nombre de valeurs d’erreurs sur chacune de ces données sources afin de simuler un grand nombre d’erreurs sur le débit. La figure suivante illustre 100 valeurs possibles pour le débit, à gauche avec une erreur systématique de -10 mm sur le zéro de la sonde, à droite avec une erreur systématique de +10 mm sur le zéro de la sonde.
Il faut cependant simuler davantage pour pouvoir procéder à une analyse statistique des résultats dont le résultat est indépendant du nombre choisi. En simulant 10 000 débits et en considérant une erreur de +10 mm sur le zéro, on peut ainsi conclure que la valeur vraie du débit est comprise entre 1.324 et 1.391 m3/s. Entre 1.330 et 1.385 m3/s si on considère les percentiles 2.5% et 97.5%, la différence entre ces deux percentiles correspondant à l’intervalle de confiance à 95% classiquement utilisé pour exprimer une incertitude. Si on considère une erreur de – 10 mm, l’intervalle de confiance à 95% devient 1.203 – 1.254 m3/s. On peut ainsi globalement conclure que le débit, dont la valeur calculée est égale à 1.29 m3/s, est compris entre 1.20 et 1.39 m3/s.
Ou encore : Q = 1.29 m3/s +/- 0.10 m3/s
Ou encore : 1.29 m3/s à +/- 8%
Un point intéressant que les graphiques mettent en évidence visuellement est le fait qu’une partie de l’erreur est systématique. Ainsi, selon comment on fait le zéro de la sonde, il y a une tendance générale à la surestimation ou à la sous-estimation. Mais sans savoir laquelle (sinon on corrigerait bien-sûr).
Incertitude sur le volume
Lorsqu’on calcule un volume journalier, à fortiori un volume annuel, les erreurs aléatoires se compensent petit à petit. En revanche, les erreurs systématiques demeurent.
Considérons par exemple la courbe suivante de hauteurs de lame déversante. En considérant que chaque valeur mesurée est représentative de deux minutes (ce qui conduit aussi à une erreur, mais non évaluée ici), on peut évaluer le volume sur une heure à 7 300 m3.
La génération de 10 000 valeurs de débit toutes les 2 minutes et l’analyse statistique des résultats conduit à un volume compris entre 7 000 et 7 700 m3 (confiance à 95%). Soit 7 300 m3 +/- 300 m3 (en arrondissant). Ou encore 7 300 m3 +/- 4%.
Ce +/- 4% pourra éventuellement diminuer un peu si on travaille sur une durée plus importante mais il ne pourra pas être réduit à zéro tant que les erreurs systématiques auront un poids non négligeable dans l’erreur sur le débit.
Conclusion
En synthèse, l’évaluation des incertitudes n’est ni une tâche purement mathématique dénuée de tout sens physique, ni une évaluation entièrement « à dire d’expert » (certains diront à l’arrache). C’est une démarche qui combine une connaissance précise du processus de mesure (et donc une expertise métier) ainsi qu’une approche mathématique rigoureuse. S’il est vrai que ce type de calcul demeure sujet à une certaine subjectivité dans l’estimation des sources d’incertitudes (quelle distribution pour les erreurs sur telle grandeur, quelle étendue…), deux évaluations indépendantes et sérieuses devraient néanmoins aboutir au même ordre de grandeur.
Dans l’évaluation de l’incertitude sur un volume calculé à partir de mesures de débit, les erreurs aléatoires vont gentiment se compenser et finir par être insignifiantes dans l’erreur globale sur le volume. En revanche, les erreurs systématiques, notamment les erreurs d’étalonnage sur le zéro d’une sonde (qui existent FORCEMENT), demeureront dans l’évaluation du volume.
Votre article nous amène sur une question cruciale en métrologie et pourtant (trop) souvent négligée : les covariances (sujet qui englobe mais dépasse la question du réglage à « zéro »). Lire par exemple : https://www.deltamu.com/fr/ressource/303/notion-essentielle-concernant-le-caractere-specifique-de-certaines-causes-dincertitude/
Oui, absolument.
C’est pour éviter de passer par la covariance, dont je me suis rendu compte en formation qu’elle nécessitait un temps très conséquent (à défaut d’y consacrer suffisamment de temps, elle fait « décrocher » les participants), que j’ai illustré ceci au moyen de simulations de Monte-Carlo.