Comment calculer un débit d’infiltration ?

Le calcul du débit capable de s’infiltrer dans un sol est une question à laquelle de nombreux ingénieurs sont confrontés. On peut par exemple citer le cas du dimensionnement d’un dispositif d’infiltration des eaux pluviales. Cela se passe en général de la façon suivante…

Calcul classique (mais faux)

Le sol est caractérisé par l’intermédiaire de la perméabilité, également appelée conductivité hydraulique. Affublée de la lettre K et exprimée en mm/h ou parfois en m/s, cette grandeur provient en général d’essais réalisés sur le sol. Il en existe plusieurs et vous avez peut-être entendu parler de l’essai Porcher ou encore de l’essai Lefranc. Il y aurait beaucoup à dire sur ces tests (phénomène de tassement lors des tests, degré de saturation du sol en fonction de la saison, hétérogénéité du sol sur la zone d’étude…). Laissons ici de côté ces questions et considérons que la conductivité est connue. Disons à titre d’exemple que notre sol est constitué principalement de limons et que sa conductivité est égale à environ 1 mm/h.

Une fois connue la conductivité, qui est homogène à une vitesse, le débit est généralement calculé en multipliant cette grandeur par la surface d’infiltration. Par exemple, 1 000 m2 de noue avec une conductivité de 1 mm/h conduit à un débit de 0.3 L/s. Comme le disait mon grand-père (qui avait deux bacs*), ce n’est pas très compliqué.

Quelle est d’après vous la précision d’un tel calcul ? 1% ? Non… 10% ? Non… 100% ? Non… Oh mince, alors !

Ce calcul est en réalité complètement faux et il peut conduire à des erreurs de plusieurs ordres de grandeur. Quand on parle d’un ordre de grandeur, on entend que l’erreur correspond à un facteur 10 (1000% d’écart entre le calcul et la réalité). Plusieurs ordres de grandeurs, cela fait encore plus.

Pour comprendre pourquoi, faisons un état de l’art succinct sur le sujet.

Le modèle de Darcy

Dans le cas d’un sol saturé en eau, l’équation de Darcy (Henry Darcy 1803 – 1858) est le modèle pertinent pour évaluer le débit d’infiltration Q à partir de la surface d’infiltration, de la conductivité hydraulique K… et du gradient hydraulique ΔH/L. La figure précédente illustre le mécanisme : un gradient hydraulique est en place entre les deux côtés du sol (cela peut aussi se produire dans le sens vertical) ; un écoulement prend donc place ici de la gauche vers la droite ; le débit de cet écoulement est d’autant plus important que le sol est perméable et que le gradient hydraulique est important.

On comprend tout de suite avec cette équation que le calcul que nous avons réalisé précédemment, en multipliant la conductivité K par la surface S pour obtenir le débit Q, a allègrement supposé que le gradient hydraulique ΔH/L était égal à 1 m/m (1 m de perte de pression par m linéaire).

Si le gradient hydraulique est égal à 0.1 m/m, le débit est 10 fois plus petit que celui qu’on a calculé. Si le gradient est égal à 10 m/m, le débit est 10 fois plus grand.

Certaines personnes vous diront, et elles n’auront pas complètement tort, que le calcul correspond à la situation représentée sur la figure suivante, où l’eau « flaque » sur le terrain naturel et crée une zone saturée au sein de laquelle l’équation de Darcy peut être utilisée. En considérant le cas d’une flaque peu profonde par rapport à la zone saturée (ΔH ≈ L, soit ΔH/L ≈ 1), les deux équations sont équivalentes car le gradient hydraulique est approximativement égal à 1.

Ce cas de figure est en effet possible mais il faut que l’apport d’eau en surface soit important par rapport à la capacité d’infiltration du sol et que cela conduise à saturer le sol. Le cas de figure représenté sur la figure précédente correspond donc à une situation qui peut se produire par exemple en cas de pluie exceptionnelle. Dit autrement, ce calcul est (généralement) pessimiste sur la capacité d’infiltration du sol, au moins pour les pluies courantes.

Sans entrer dans des approches très complexes (comme l’équation de Richards), explorons un autre modèle existant, le modèle de Green & Ampt, qui ne fait pas d’hypothèse sur la saturation du sol ni sur le gradient hydraulique.

Le modèle de Green & Ampt

Ce modèle tient dans une petite feuille Excel et considère que :

  • un front de saturation progresse à mesure que l’eau s’écoule depuis la surface ;
  • au-dessus de ce front, le sol est saturé en eau ;
  • en-dessous de ce front, le sol est sec ou éventuellement occupé par une humidité résiduelle.

Il suffit alors de comparer le débit d’infiltration avec le débit apporté par la pluie (ou par le ruissellement qui arrive dans la noue) pour déterminer si toute l’eau s’infiltre (auquel cas il n’y a pas de saturation) ou si une partie s’accumule en surface (phénomène de « flaquage », auquel cas le sol sature).

Si vous souhaitez des détails sur ce modèle, vous pouvez consulter l’article de Wikhydro accessible au lien suivant et dédié à ce modèle. Vous trouverez également au lien suivant une feuille Excel avec le modèle qui a été implémenté pour celles et ceux qui voudraient jouer avec.

Malgré sa relative simplicité, le modèle de Green & Ampt est bien plus complexe que celui de Darcy (et a fortiori que son application erronée). Il requiert l’utilisation de 5 données d’entrée :

  • La conductivité hydraulique (comme la relation de Darcy) ;
  • La pression au niveau du front (en hauteur d’eau) ;
  • La porosité effective ;
  • L’humidité à saturation ;
  • L’humidité initiale ;

Et d’une variable d’entrée correspondant à l’intensité de la pluie (ou du ruissellement qui parvient à la zone d’infiltration).

Des ordres de grandeur sont disponibles dans l’état de l’art pour ces différents paramètres. On peut utilement se reporter à la documentation du logiciel HEC-HMS qui utilise ce type d’approche. Voir par exemple au lien suivant.

Avec un paramétrage conforme à ces ordres de grandeur, on arrive ainsi avec le sol limoneux de conductivité 1 mm/h à infiltrer 10 mm/h pendant plus de 20 minutes (alors que la conductivité est égale à seulement 1 mm/h…). Puis le débit d’infiltration (exprimé en mm/h sur le graphique suivant) diminue progressivement ; il reste cependant supérieur à 3 mm/h (pour une conductivité de 1 mm/h…) pour une pluie qui tombe à 10 mm/h pendant 4 heures (il se crée alors une flaque). Si la pluie dure encore plus longtemps, il continue de baisser pour tendre asymptotiquement vers la valeur de la conductivité. Ces chiffres sont illustrés sur le graphique suivant et vous pouvez les obtenir et « jouer avec » en utilisant le fichier Excel que je vous mets à disposition.

Si le modèle de Green & Ampt est plus adapté que celui de Darcy pour la situation correspondant à un débit d’infiltration, il ne faudrait cependant pas croire que cela permet de régler tous les problèmes.

Déjà, il n’est pas aisé de choisir correctement les valeurs des paramètres du modèle. Jouez par exemple avec l’humidité initiale et vous constaterez une infiltration qui pourra être bien plus faible (si vous augmentez l’humidité initiale). C’est bien-sûr physiquement logique mais comment savoir dans quelles conditions d’humidité le sol sera au moment de la pluie à infiltrer ?

Un cas limite serait le cas d’une nappe haute (située tout au plus à quelques dizaines de centimètres sous le niveau de terrain naturel) et qui ne serait le siège d’aucun écoulement significatif. Le sol aura beau avoir la capacité à évacuer ; c’est la nappe qui recevra ces eaux qui fera bouchon hydraulique.

Tout ça conduit à dire que ce type de calculs comprend intrinsèquement une part très importante d’incertitude. Ce n’est pas tant le modèle qui est incertain, ce sont les données d’entrée utilisées. Ceci étant dit, ce n’est pas une raison pour calculer n’importe comment…

Que peut-on conclure de tout cela et qu’est-il raisonnable de faire ?

Conclusion

1. Il faut tout d’abord avoir conscience de la grande variabilité du phénomène d’infiltration : selon la saison, l’hétérogénéité du sol (un chemin préférentiel par ici, une couche quasiment imperméable par là), l’humidité du sol… Quantifier un tel phénomène au moyen d’une approche « simple » ne permet d’aboutir qu’à un ordre de grandeur !

2. Il faut ensuite avoir conscience des conditions d’application des modèles : le modèle de Green & Ampt est, parmi les modèles « simples », celui qui est selon moi le plus abouti. Mais son utilisation requiert une analyse de sensibilité aux données d’entrée qui sont nombreuses.

3. Le modèle de Darcy ? C’est un super modèle mais il est applicable seulement si le sol est saturé.

4. Le modèle de Darcy avec un gradient hydraulique égal à 1 ? Cela vous fournira un résultat généralement sous-estimé, voire très largement sous-estimé, de la capacité du sol à infiltrer. On avait le cas d’un facteur 10 dans notre exemple. Cela peut être encore davantage.

5. Le modèle de Darcy avec un gradient hydraulique de 1 fournit en général un résultat minoré, et donc sécuritaire… Oui mais pas toujours ! En effet, si d’autres éléments sont susceptibles d’empêcher l’écoulement de l’eau, par exemple une nappe haute qui ne s’écoule pas, un sol complètement saturé en eau, même cette approche peut conduire à surestimer l’infiltration.

Conclusion de la conclusion

Faisons appel à notre sens physique et gardons-nous bien d’annoncer des valeurs de débit d’infiltration sans évoquer les très forts niveaux d’incertitude qui sont associés à ce type de calculs.

*Pour information, mon grand-père paternel avait en effet deux bacs : un bac à charbon et un bac à cendres.

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